Conférences d’ouverture

Adriana Puiggrós

Des savoirs socialement construits pour un monde plus humain

L’importance de prendre en compte les savoirs populaires et d’expérience en éducation a été de plus en plus reconnue au cours des dernières décennies en raison de la prise de conscience grandissante de la gravité des problèmes environnementaux et de la mobilisation citoyenne qui en a résulté. Toutefois, outre les intérêts du grand capital économique, la plus imposante barrière à laquelle fait face la reconnaissance de la légitimité et de l’utilité des divers types de savoirs est celle des institutions de l’éducation elle-même. Les curriculums scolaires sont devenus des systèmes résistants au changement et en particulier, à la valorisation et au transfert de savoirs populaires. Or actuellement, dans plusieurs pays d’Amérique latine, une majorité de la population ne fréquente pas l’école, elle échoue ou elle est rejetée par le système, limitant ainsi la portée des réformes curriculaires qu’on a réussi à implanter. Trop souvent, le problème est abordé à partir de théories d’inspiration « malthusianiste » et rares sont les pays qui élaborent des politiques publiques visant à favoriser l’inclusion des personnes marginalisées par la réorganisation néolibérale des économies nationales. Cette marginalisation s’est manifestée entre autres par la dévalorisation et l’exclusion des savoirs traditionnels, des connaissances technologiques antérieures, des solutions pratiques et contextuellement adaptées, des processus culturels d’utilisation des ressources naturelles locales, des connaissances partagées par les travailleurs et des savoirs collectifs. De plus, l’enseignement d’une culture générale a été considéré comme superflu. Dans ce processus de « réduction-compression » des curriculums, seul l’enseignement des connaissances de base nécessaires à la réponse adéquate des individus aux lois du marché est assuré. Du même coup, la société d’efficacité et de performance s’est débarrassée des connaissances issues des cultures populaires et démocratiques qui remettaient en question les fondements d’une telle société. Occultant les processus historiques et s’intéressant uniquement au présent, cette société est également insouciante de son propre futur. Néanmoins, ce futur s’est précipité et la crise rattrape le modèle éducatif néolibéral. Il est urgent de reconnaître et de valoriser les expériences et les politiques alternatives et démocratiques qui se développent dans divers pays latino-américains et qui contribuent à une éducation ouverte aux changements technologiques, sociaux et culturels. Une telle éducation tient compte des savoirs populaires et les rend utiles pour l’avènement d’un monde plus humain préservant l’intégrité de l’écosystème global.

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